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Madame, non. Ce n’est pas « juste » un chat


J’étais en consultation. Une dame articulée, élégante, accompagnée de son adolescente que je juge avoir à peu près 12 ans. La dame me présente un chat de 8 ans, Ruby.  Ruby vomit une à deux fois par semaine depuis quelques années.

L’examen de santé de Ruby n’a rien d’alarmant. Je suggère donc des tests de sang et des radiographies pour commencer à évaluer le problème. Il faut savoir que les vomissements sont un symptôme qui peut accompagner plusieurs maladies allant de problèmes simples à plus complexes. Je fais donc un estimé des coûts à Madame et je le lui explique en quoi consiste les tests.

Madame demande alors à sa fille de sortir de la salle, elle veut me parler seule à seule. Elle commence ainsi : «vous savez, c’est juste un chat. Ce n’est pas que nous n’avons pas les moyens. On voyage, on a une grande maison, j’aime les belles choses, vous savez…» et elle continue de me dépeindre son train de vie.  «Mais, c’est une question de principe. Je ne veux pas mettre d’argent sur un chat.  Et, ça m’énerve de ramasser le vomi. Du vomi de chat en plus!»  Et puis elle me demande alors de dire à sa fille que l’animal est très mal en point et qu’il doit être euthanasié.

J’étais si-dé-rée. J’ai respiré. Et j’ai formulé ainsi ma question à Madame «Alors je comprends que vous me demandez de mentir à votre fille?» Oui, c’est bien ce qu’elle voulait. Elle trouvait qu’entre femmes, mères peut-être, je pouvais bien lui rendre ce service.

Je ne l’ai pas fait. J’ai pensé à ma fille, une ado aussi, ma fille à qui je veux enseigner à prendre soin des animaux, à être honnête, intègre et à respecter ses valeurs. Madame n’est plus jamais revenue me voir.  Pourtant, cette histoire m’a longuement hantée.

Je suis médecin vétérinaire

Aucun de mes patients n’est juste un chat pour moi.  Voyez-vous, je consacre toute ma carrière à les soigner. J’ai étudié avec acharnement pour être admise à la faculté de médecine vétérinaire, j’ai obtenu mon doctorat, je fais des dizaines d’heures de formations continues chaque année, je respecte tous les règlements de l’Ordre des médecins vétérinaires pour toujours mieux soigner mes patients. Ils ne sont jamais juste des animaux pour moi.  Ils sont ma raison d’aller travailler chaque matin, ils sont ma plus grande motivation à être la meilleure professionnelle que je puisse être. Je ne prétends pas changer le monde comme vétérinaire, mais je sais que j’améliore considérablement la vie de chacun de mes patients. Et que je fais une réelle différence dans celles des familles qui veulent en prendre soin.

Je suis habituée de devoir soigner dans les limites du budget des gens. Je sais que la médecine – humains, dentaires ou vétérinaire – a un coût, et je comprends que tout le monde ne peut pas toujours «se payer» le plan A. Je recommande avec beaucoup de conviction à chacun des propriétaires d’animaux de s’offrir une assurance pour animaux, pour avoir l’esprit tranquille.  Mais je ne mentirai pas…

Je veux que cette enfant, qui est venue me voir avec Ruby, grandisse en sachant qu’on peut soigner un chat qui vomit. Mais au-delà de tout cela, le sort de ce chat m’a tracassée.

Comme la très grande majorité des vétérinaires, je veux jouer en équipe avec tous mes clients, sans mensonges, en toute transparence. Je veux continuer à aimer les animaux, chacun d’eux, individuellement. Et le jour où je commencerai à penser que ce sont juste des chats, il sera temps pour moi de changer de profession.

Elle signe ce texte

Fondatrice du magazine web Flair & Cie, Dre Lucie Hénault est médecin vétérinaire et propriétaire avec 7 associées, de 8 établissements vétérinaires dans la grande région de Montréal. Dre Hénault est gestionnaire de l’Hôpital vétérinaire de Montréal, à Westmount.

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