Je vous écris souvent à propos de mes associées. Je pense que nous sommes nombreux, et certainement encore plus nombreuses, à nous reconnaître en elles. Voici l’histoire de l’une d’entre elles.
La perfection, c’est lourd à porter
Cette histoire concerne une vétérinaire super brillante, une fille analytique et bourrée de talents. Une C (ou une bleue) selon les cercles des personnalités. Je crois qu’elle dépasse l’adage « Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait ». Elle remplace le « bien » par « PARFAITEMENT ». Elle a acheté avec mon groupe d ‘associées, la clinique où elle travaillait lorsqu’elle était étudiante. Elle met beaucoup d’énergie dans ce projet et elle travaille fort sur elle-même, pour devenir la leader exemplaire qu’elle rêve d’être. Son équipe l’aime. Une des preuves que ses efforts fonctionnent, c’est qu’elle a réussi à garder à l’emploi de la clinique les deux vétérinaires qui nous ont vendu l’établissement. Heureux d’œuvrer dans l’équipe de mon associée et aussi par manque de ressources, ils repoussent leur retraite !
Ma jeune associée travaille fort, mais elle se juge sévèrement. J’aimerais qu’elle se voie à travers mes yeux. Je vous montrerais ses dossiers que la syndic de I ‘OMVQ les prendrait pour modèles ! Dans ses coachings, elle fait ses devoirs, très bien même. Elle a abandonné son cours aux HEC, convaincue qu’elle n’arriverait pas à obtenir un A+ (pareillement à celui récolté à la maîtrise et sur une longue liste d’apprentissages, comme en témoigne la liste du doyen de sa promotion). Elle réussit son couple également (son conjoint l’adore et la soutient). Elle est tellement bonne pour gérer les plaintes des clients que je lui délègue celles qui me paraissent insurmontables. Elle écoute, comprend, se met en mode solution et règle le problème. Son équipe est stable et de plus en plus performante. Elle a même obtenu une bourse de l’Association canadienne pour leader émergent l’an dernier. Vous voyez maintenant le portrait de la fille sympathique et talentueuse ?
S’accorder le droit à l’erreur
Le hic avec cette jeune associée hyper performante ? Elle ne se voit pas comme les autres la voient. J’aimerais tant qu’elle consente à se dire qu’elle est « juste assez », qu’elle n’est pas « trop » ni non plus « pas assez ». Cette collègue est affectée d’une maladie chronique, qui fait qu’elle ne peut pas travailler autant qu’elle le voudrait. Elle doit gérer cette maladie pour qu’elle ne dégénère pas et affecte sa santé plus sévèrement. Elle se blâme souvent. En fait, quand ça ne va pas physiquement, elle imagine qu’on lui reproche sa maladie.
En période de la COVID-19, nous avons dû réfléchir, mon groupe d’associées et moi (j’espère que vous avez fait le même exercice, sinon il est temps de le faire!) qui relèverait les tâches des autres si nous tombions au combat. La C dont je vous parle a été identifiée comme étant celle qui prendrait ma présidence si je devenais malade. D’une part, sa maladie l’obligeait à observer le confinement avec plus de rigueur et d’autre part, je l’en jugeais capable. Je lui ai donc délégué de nouvelles tâches, difficiles. Des tâches qui ont des conséquences si elles ne sont pas faites correctement. Celles-ci ont augmenté son niveau de stress. Elle les a d’abord repoussées, par crainte de l’échec. Puis s’y est contrainte. Et… elle a éclaté.
Elle avait fait ça avant, dans d’autres circonstances. En période de grand stress, je deviens son bouc émissaire, celle qui fixe des d’objectifs irréalistes. Je deviens sa coach des Olympiques, comme celle qu’on déteste par moment parce qu’elle nous oblige à faire cinq kilomètres de course supplémentaires, alors qu’on est persuadé que nos jambes vont lâcher (c’est Evelyne, une autre de mes associées qui a fait cette analogie). Cette coach pourtant, est aussi celle qui voit tout le potentiel de son équipe, avec beaucoup de cœur, de bienveillance et de courage.
La performance, à quel prix ?
Lorsque mon associée performante pleure ainsi au téléphone et se fâche contre moi, je sais que c’est un appel à l’aide. C’est difficile pour elle d’imaginer qu’elle pourrait exécuter une tâche moins que parfaitement ou qu’elle pourrait s’évaluer comme étant responsable d’une faute. Elle préfère s’abstenir plutôt que de risquer d’obtenir une note en deçà de 100 %. Elle m’a raconté, dans une de ces périodes de stress qui l’avait fait enrager, qu’elle a une voûte quelque part dans sa tête, dans laquelle elle enferme toutes les mauvaises expériences pour les ressortir en temps opportun, pour attaquer quand elle se sent menacée.
Chère associée que j’aime tant. La seule menace ici est que tu t’obliges à être parfaite, rien de moins que parfaite… Ton appel à l’aide réside dans ton incapacité à te donner le droit à une petite erreur.
Pourtant, tu sais bien qu’on ne peut pas être dans les affaires sans accepter une part de risque, dont celui de se tromper de temps en temps, de faire fausse route, d’apprendre de nos fautes, de ne pas être parfait. Qui l’est de toute façon ?
Tu es rendue à l’étape d’apprendre que quelquefois, certaines choses doivent être faites correctement, pas parfaitement. Parce que le temps et l’énergie ne sont pas des ressources inépuisables. Pour réussir en équipe, les forces de chacune doivent être exploitées, même si la tâche qui revient à chacune n’est pas celle qui l’aurait attiré d ’emblée.
Le très utile tiroir secret
Chère associée C. J’ai peu de conseils à te donner. Je crois qu’il y a des choses que tu fais bien mieux que moi. Cependant, je veux que tu saches que j’ai aussi une voûte, un tiroir secret quelque part dans mon for intérieur. Je m’applique à y ranger des moments heureux et des paroles de gens que j’apprécie. Spécialement, j’y mets de beaux instants que je puise dans notre association. Tout comme toi, je les sors dans les moments opportuns. Quand je suis découragée, je repense à nos meilleures blagues. Si je me sens seule, je me rappelle toutes les fois où notre groupe m’a été salutaire. Et lorsque je me sens forte, je me conforte en sachant que c’est aussi grâce à vous, mes associées précieuses. Et de la période COVID-19, je vais emmagasiner dans ma voûte le plaisir que j’ai eu à converser avec toi sur ma façon de prendre soin de I ‘équipe, de partager ma vision à long terme, de jongler avec tant de tâches à la fois et de tout le reste qui fait partie du rôle de la présidente. J’ai aimé nos discussions.
Au début de leur mariage, mon père avait offert à ma mère une assiette sur laquelle il est écrit: « Forget the rainy days and count the sunny hours ». J’ai demandé cette assiette en héritage. Pas pour sa valeur (elle n’en a pas) mais parce que cette philosophie me plaît.
Change la raison d’être de ta voûte, belle associée. Modifie aussi ton regard sur toi. Tu es « assez » performante, « assez » gentille, « assez » capable, « assez » dévouée, « assez » forte, « assez » appréciée et « assez » tout! Tu es super. Et… c’est bien pour cela que, malgré ta résistance à certains moments, je vais continuer à te donner des défis. Car je crois en toi, parce que je sais que la façon dont je te vois est la bonne et parce que je te souhaite de te voir bientôt avec ce même regard. Tu n’en seras que plus heureuse et… probablement encore plus performante.
Paru dans Le Rapporteur Automne 2020 de l’Association des médecins vétérinaires du Québec