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Éloise n’est plus vétérinaire…


Du plus loin qu’elle se souvienne, Éloise a toujours adoré les animaux. Enfant, elle a appris à marcher en suivant le chien de la famille. Adolescente, elle travaillait dans une écurie et faisait du bénévolat dans un refuge pour chiens et chats de sa région. Où on croisait Éloise, il y avait des animaux.

Le but

C’est tout naturellement que tous autour d’elle l’encourageaient à devenir vétérinaire. Au cégep, Éloise s’est plongée dans ses études avec la rigueur d’une fille performante. Elle a étudié les sciences un nombre incalculable d’heures alors que les jeunes de son âge profitaient bien davantage de la vie. Qu’à cela ne tienne, elle avait un but qui la motivait plus que tout : soigner les animaux. Plusieurs enseignants lui recommandaient d’entrer en médecine humaine. Bien qu’elle avait une cote R suffisamment élevée pour entrer en médecine ET en médecine vétérinaire (à titre d’exemple, en 2021 la plus basse cote R admise à l’Université de Montréal dans le programme de médecine a été de 33.04 tandis que celle en médecine vétérinaire a été de 33.8). Éloise a basé son choix sur son amour des animaux, pas sur le salaire beaucoup plus élevé qu’elle aurait gagné si elle était devenue médecin pour les humains. Quel coup dur elle a eu quand elle n’a pas été acceptée lors de sa première application. Le fameux test *CASPer avait dû jouer en sa défaveur.  

La persévérance

Déçue, Éloise a retroussé ses manches ! Elle s’est inscrite au BAC en biologie et a essayé année après année d’être acceptée en médecine vétérinaire. – en 2021, pour  le programme de médecine vétérinaire, il y a eu 1068 demandes pour 96 places- après 3 ans en biologie, Éloise a été accepté en médecine vétérinaire. Elle-même n’y croyait plus. C’est le coeur plein d’espoir qu’elle est déménagé à Saint-Hyacinthe où est située la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, le seul établissement d’enseignement vétérinaire au Québec et l’un des cinq établissements canadiens.  

Les études

Éloise a fait 5 ans d’études entourée d’étudiants hyperperformants, sélectionnés sur la base de l’excellence de leur dossier scolaire. 195 crédits universitaires, un nombre incalculable de nuits blanches, des stages et le difficile examen du NAVLE à la fin (The North American Veterinary Licensing Examination) qui lui accordait le droit de pratiquer la médecine vétérinaire. Enfin ! Éloise pouvait porter le titre tant convoité de DMV.

La vie en clinique

Stressée par les dettes accumulées sur 8 ans d’études universitaires, Éloise avait hâte de commencer à travailler. En médecine vétérinaire, l’horaire est variable : soirs, jours, week-end.. Les vétérinaires doivent être disponibles pour aider leurs patients. Éloise était prête a cela. Heures de repas souvent inexistantes à cause des urgences, horaire chargé, ne jamais savoir à quelle heure une journée se termine : tout cela rendait bien sûr la conciliation travail/vie personnelle difficile, mais Éloise y mettait tous les efforts. Elle avait choisi cette profession qu’elle aimait, elle savait que des ajustements seraient nécessaires à son arrivée sur le marché du travail.

Le choc de la relation client

Ce à quoi Éloise n’était pas préparé cependant, c’était à la perception que les clients avaient d’elle et de sa profession. Chaque jour, Éloise se faisait reprocher de ne pas aimer « assez » les animaux, car elle devait facturer les actes médicaux qu’elle posait. Chaque fois, cela l’affectait comme un coup au coeur. Au début, elle se défendait, argumentait, tentait d’éduquer le client. «Si personne ne paye les soins, il n’y aura ni personnel, ni équipement, ni formation continue, ni médecine vétérinaire de qualité. Les salaires des vétérinaires et des technicien.nes en santé animale sont beaucoup moins élevés que ce que vous pensez». Rien n’y faisait, dans la tête de plusieurs clients, aimer les animaux rimait avec «faire du bénévolat». Invariablement, elle parlait d’assurances pour animaux. Mais il aurait fallu que les clients y adhèrent avant que l’animal soit malade et cette possibilité est si peu connue au Québec. 

Le gouffre

Puis, Éloise a essuyé quelques mauvais commentaires sur Google. Des clients qui disaient du mal d’elle. Les dossiers des clients étant confidentiels, Éloise ne pouvait pas se défendre bien que les commentaires étaient mensongers. Il y avait bien sûr de bons clients, avec qui elle avait une relation de confiance. Ces clients permettaient à Éloise de passer des journées moins sombres.

Mais Éloise a toujours été une fille extrêmement exigeante envers elle (c’est pratiquement nécessaire pour réussir le cours universitaire vétérinaire) et sensible (comme le sont si souvent les amis des animaux). Les clients difficiles et accusateurs, les euthanasies de convenance, les reproches et les attentes irréalistes des clients la grugeaient. Jamais elle n’avait imaginé qu’on pourrait lui manquer à ce point de respect dans sa carrière. Il y a tant de gens qui, devant la maladie de leurs animaux, cherchent un coupable et accuse le médecin vétérinaire de plusieurs torts sans pousser plus loin leur réflexion. 

Éloise ne se sentait plus bien. Elle a commencé à rentrer travailler de reculons, à ne pas prendre plaisir à son travail. Elle aimait toujours autant les animaux, mais elle ne savait plus comment dealer avec l’attitude de certains clients. Éloise a fait un burn-out quelques années seulement après avoir commencé à exercer.   

Changement de cap

Après avoir reçu de l’aide, Éloise a bien essayé de retourner exercer la médecine vétérinaire. Un soir, elle a dû euthanasier un chat pour un blocage urinaire, un patient qui aurait pu être sauvé. La cliente a refusé, disant que c’était trop cher, et lui a dit que le chat allait mourir par sa faute. Ça été la goutte de trop. Celle qui a fait déborder un vase déjà beaucoup trop plein. Éloise avait toujours perçu le médecin vétérinaire comme le héros des animaux et voilà que souvent, elle devenait le zéro des clients. 

Fragilisée, elle a eu des idées noires. Elle a pensé au suicide. Le taux de suicide chez les médecins vétérinaires est malheureusement près de 3 fois  supérieur à celui de la population générale au Québec (vous pouvez lire sur le mouvement de sensibilisation à la détresse vétérinaire #NOMV (Not One More Vet). #NotOneMoreVet. Heureux mon vétérinaire. Vraiment?

Éloise a quitté la profession vétérinaire. Elle aime toujours autant les animaux, mais ne se sent pas capable de continuer à faire face au stress imposé par son travail. La détresse de certains clients qui se traduit en mots durs, en colère et surtout en culpabilisation l’atteint trop. Cela, combiné en plus à des horaires épuisants. Elle ne se sent pas assez forte pour cela. Elle est retournée étudier. Elle a toujours été bonne pour apprendre, minutieuse dans son travail, à l’affût des meilleures pratiques, désireuse d’offrir un service à la fine pointe adapté aux clients. 

Elle a maintenant choisi une profession où les sommes à dépenser sont toujours planifiées, prévues, budgétées par les clients. Elle ne travaille plus directement avec les animaux, mais elle est famille d’accueil pour des chats en refuge. Elle achève maintenant ses études en chirurgie esthétique.  

Les grands perdants du changement de carrière d’Éloise sont les animaux. Éloise les a toujours aimés et avait choisi de leur consacrer toute sa carrière. Elle leur était dévouée. Ce n’est personne en particulier qui a provoqué son changement de carrière quoiqu’un changement de paradigme dans la façon dont certains clients traitent leurs animaux et leur médecin vétérinaire aurait pu complètement changer le cours de cette histoire.

Il y a une réflexion collective qu’on pourrait faire tous ensemble… ne serait-ce que pour le bien de nos animaux.

Note : L’histoire d’Éloise est fictive sans vraiment l’être. C’est celle de dizaines d’ex-vétérinaires. Dans cet article paru à l’été 2021, Dr Rioux, président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec indique que sur les 2 850 vétérinaires actifs, 1 400 ont répondu à un sondage mené par l’organisation pour mieux anticiper le taux de rétention de ses membres. Les résultats ont créé la surprise. Parmi ces répondants, 56 % ont indiqué qu’ils songeaient à quitter leur pratique ou à se réorienter. Les vétérinaires, nombreux à quitter le terrain

* test CASPer: Examen de jugement situationnel qui évalue les caractéristiques personnelles des candidats : collaboration, communication, empathie, équité, éthique, motivation, résolution de problèmes, professionnalisme, résilience, conscience de soi.

Elle signe ce texte

Fondatrice du magazine web Flair & Cie, Dre Lucie Hénault est médecin vétérinaire et propriétaire avec 7 associées, de 8 établissements vétérinaires dans la grande région de Montréal. Dre Hénault est gestionnaire de l’Hôpital vétérinaire de Montréal, à Westmount.

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