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Une révision annuelle toujours difficile pour notre Indispensable

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Révision annuelle

Vous ai-je déjà parlé de notre Indispensable ? C’est une extraordinaire technicienne en santé animale. Je travaille étroitement en équipe avec elle. Selon le DISC, elle est une I très forte : centrée sur les émotions et extravertie. Tout est d’abord question de relation pour elle. C’est une leader et, fait rare, elle est capable d’autoconscience. Oui ! En plus, elle est réceptive à la critique. Je sais bien que tout le monde pense l’être – en entrevue du moins – ;-). Mais qui est vraiment capable d’entendre un commentaire négatif, bien que constructif, et vouloir immédiatement reconnaître ses torts sans se justifier et être ouverte à discuter de solutions pour s’améliorer ? En tout cas, moi, j’en connais plus qui ont besoin de décanter l’information (je m’inclus dans ce groupe) et d’autres cherchent à se rassurer en discutant avec des proches ou des collègues (souvent en se disculpant et en rejetant la faute sur l’autre). Pas elle. Notre Indispensable n’aime pas l’hypocrisie et veut qu’on lui dise de quelle façon elle peut faire mieux. Une fille d’équipe, une battante généreuse et attentionnée aux autres, qui sait toujours reconnaître les idées et le mérite de ses collègues, sans chercher à se l’approprier. Vous voyez le portrait ? Peut-être avez-vous également le privilège de travailler avec une personne de cet acabit ? 

Notre Indispensable en a bavé pour arriver où elle en est. S’il n’est déjà pas facile pour les médecins vétérinaires d’être propriétaires de cliniques et d’assumer toutes les responsabilités qui viennent avec ce statut, les techniciennes ont un défi de plus. Dans la journée, Indispensable alterne harmonieusement entre le rôle de celle qui reçoit les directives : « Prends une radiographie de thorax 3 vues sur ce chat », à celle qui veille à la bonne gestion : « Attention ! Tu es arrivée encore en retard ce matin. » Elle doit partager sa compagnie de gestion avec un médecin vétérinaire et, comme tout non-vétérinaire, renoncer aux actions avec droit de vote. Elle en prend son parti et fait même un certificat de gestion aux HEC tout en travaillant à temps plein. Vous comprendrez que c’est une perle qui contribue à mon bonheur au travail… sauf une journée dans l’année. Une journée que nous redoutons toutes les deux. Elle me dit même d’avance : « Je ne veux pas me chicaner avec toi, mais ça va être difficile. » 

Cette fois maléfique, c’est quand on s’assoit ensemble pour fixer les augmentations salariales de l’équipe qu’elle a comme responsabilité directe. Je sens son désarroi devant les honoraires de notre domaine qui ne reflètent ni les efforts investis ni les études, le stress et toutes nos compétences. Il faut dire que Indispensable aime s’offrir du luxe et aurait pu être une millionnaire charmante ! Durant cette discussion annuelle, elle me pousse à devenir la gardienne du BAIIA, un rôle qui ne me plait pas et me retranche dans une partie froide de moi : la même qui négocie avec les banques et les tableaux Excel de paiements de prêts. Je comprends que ce soit nécessaire en affaires, mais ce n’est jamais ce qui m’a motivée à devenir médecin vétérinaire. Et notre Indispensable de débattre, avant même de regarder les chiffres, des qualités de chacun des membres de son équipe, de leurs bons coups, de leurs difficultés dans leur vie personnelle (elle est très impliquée) et de son envie de les garder dans son groupe. Elle redoute, peut-être encore plus qu’un vétérinaire, de perdre un médecin : elle sait ne pas pouvoir le remplacer et cela ajoute à la pression qu’elle subit. Elle ne m’écoute pas, ne m’entend pas. C’est la seule fois où je la sens agressive : elle défend une équipe qu’elle aime. 

Cette horrible discussion finit toujours de la même façon : je lui donne le tableau, lui explique à nouveau les paiements à venir, les conséquences à mal gérer et je lui dis de me soumettre une proposition. Elle s’en va avec cela et je sais qu’à ce moment précis de l’année, elle ne m’aime pas et ça me blesse. Je subis alors une grosse migraine et mes épaules sont lourdes…

Elle me revient, penaude, quelques jours plus tard, avec un plan qui la déçoit. Bien que les salaires que nous offrons sont dans les normes de l’étude économique de l’AMVQ (un merci aux responsables de ce dossier), elle se désole de ne pouvoir donner plus et se demande comment d’autres arrivent à proposer de plus gros montants. Certains offrent aussi moins. Nous discutons ensemble de solutions pour rémunérer nos employés. Elle ne veut pas payer à pourcentages ; elle redoute une compétition malsaine dans une équipe si harmonieuse. Je partage cette opinion. 

Et elle me pose la question fatidique, les épaules courbées : « Pourquoi est-ce ainsi ? » Je l’ignore ma belle Indispensable… Je me pose aussi souvent la question. Cependant, je sais que tu donnes ton cœur à ton équipe et ça vaut beaucoup toute cette chaleur humaine et cette reconnaissance. Je sais que cette année encore, tu récompenseras tous les objectifs atteints par des cartes cadeaux, des bonus, des activités (qui iront du souper spaghetti chez toi à la location de chalet) et cela s’ajoute aux salaires offerts, ma chère. Je conçois que les possibilités d’avancement sont réelles dans nos cliniques et que chacun développe des projets et sa fierté. Je reconnais en toi une leader dévouée, toujours désireuse de t’améliorer et je sais que ton équipe t’aime. Je suis informée que tu t’es levée à minuit pour aider des collègues, passer des fins de semaine à remplacer des gens fatigués et je t’ai vue prendre en tout 5 minutes de pause dans des journées de 16 heures pour motiver ton monde, t’assurer qu’ils dinent et soupent et sans répit, en faire plus. Tu gères par l’exemple et le cœur.

Notre profession se développe aussi grâce à des techniciennes comme toi. Il y a 17 ans, lors de ma graduation, je gagnais 20$/heure. Les salaires des finissants ont pratiquement doublé depuis. Des techniciennes, autrefois pratiquement soumises au salaire minimum à vie peuvent maintenant devenir entrepreneures aguerries. Les choses évoluent, Indispensable. Ne te décourage pas. Il y a plus que le salaire. Il y a la vie d’équipe, la reconnaissance, les valeurs et la qualité du leader. Nos salaires sont dans la juste moyenne, mais ton cœur est bien au-delà de ces échelles…

Bien d’autres entrepreneurs pourront se reconnaître dans ce texte. À eux, à ces gens de cœur, je lève mon chapeau et je comprends votre désarroi devant ce moment difficile de l’année. On voudrait en faire plus, mais on fait juste de notre mieux. Notre Indispensable aussi.

Paru dans Le Rapporteur Printemps 2018 de l’Association des médecins vétérinaires du Québec