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Être courageux en affaires. Ça veut dire quoi ?

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Le gestionnaire a mille et une choses à gerer

Dernièrement, j’ai rencontré – virtuellement, bien évidemment – une étudiante en finance des HEC qui s’intéressait à la médecine vétérinaire et aux risques liés à l’entrepreneuriat. On partait de zéro dans sa connaissance du milieu, sauf que sa soeur est une super vétérinaire fraîchement graduée. Cette étudiante en finance avait une vision bucolique de la profession libérale qu’est la profession vétérinaire. Un peu comme elle était, il y a trente ans.

Ensemble, nous avons abordé toutes sortes de difficultés financières liées à la pratique. Pendant notre conversation, elle classait méthodiquement les menaces dans des catégories à l’étude dans le cadre de sa formation. Un entretien agréable et enrichissant, avec une fille brillante. Cette discussion m’a fait penser à un risque abstrait, difficilement mesurable, mais qui doit très certainement hanter tous les entrepreneurs. Un risque au moins aussi épeurant que tous les autres réunis.

Un risque que la pandémie a rendu omniprésent, celui de manquer de courage.

Travaillons-ensemble

Le courage managérial en temps de COVID

J’ai lu quelque part qu’on est toujours le méchant de l’histoire de quelqu’un. Même si on est sensible, même si on est connu pour être une personne au grand coeur. C’est certainement encore plus vrai lorsqu’on est patron. Et fort probablement plus en ces temps d’incertitudes liées à la COVID.

En devenant entrepreneurs, on a tous rêvé de prêcher par l’exemple. On s’est imaginé à l’écoute de chacun, toujours bienveillant et attentionné. Alors, forcément on s’en veut quand il nous arrive d’écouter seulement d’une oreille. On sait combien ça peut être frustrant et blessant de ne pas être écouté. Ça nous est tous arrivé. Je me souviens de la fois où je parlais à un gestionnaire de l’entreprise pour laquelle je travaillais à l’époque, pendait qu’il tapait à deux doigts sur son clavier, en m’encourageant à continuer de parler parce qu’il était capable de faire deux choses en même temps: écouter et rédiger.

Pendant les derniers mois, il m’est aussi arrivé de prendre des décisions pour acheter la paix en quelque sorte. J’ai modifié les horaires en fonction d’employés qui me suppliaient de ne pas couper leurs heures. Et puis, quand la PCU est survenue, plusieurs sont retournés voir leur gestionnaire immédiat (qui m’appelait pour me présenter tout cela) en faisant semblant d’être bon joueur et d’accepter une réduction d’heures, maintenant que l’argent « tombait du ciel ».

Je m’en suis voulu de ne pas avoir respecté tous mes principes et d’avoir une fois ou deux fait passer l’individu avant l’équipe, par manque de temps, d’analyse, par manque d’énergie. 

Les maux de la pandémie

On a tous eu la mèche plus courte avec les clients ces derniers temps aussi. Tellement plus de plaintes et d’impatience à gérer en ce temps de pandémie. Je suis habituellement d’une patience d’ange avec la clientèle, gérant chaque reproche comme si ma licence à l’OMVQ en dépendait.

Pourtant, j’ai mis des clients à la porte après qu’ils aient fait pleurer des employées en or. Et… je m’en suis voulu. 

Pas d’avoir agi pour protéger mon équipe, mais de ne pas avoir été aussi stratégique que j’aurais pu. On s’est tous senti anxieux au printemps, devant la dégringolade des revenus et les dettes toujours bien présentes. Cette anxiété s’est certainement reflétée plus que dans notre consommation de chocolat ! Personnellement, un employé qui ne cadrait pas parfaitement dans les équipes a senti que je l’appréciais moins et a donné sa démission.

Cette démission a évidemment mis de la pression sur le reste du groupe qui a dû couvrir plus d’heures. Je m’en suis voulu. 

Si j’avais mieux géré mon impatience, davantage travailler sur moi, mieux étudié les qualités de ce salarié, plutôt renforcé ses bons coups, celui-d serait probablement encore dans l’équipe (peut-être pas plus performant, mais toujours là).

Et moi là-dedans…

Durant tout le printemps et l’été de la pandémie, j’ai enfilé un nombre incalculable d’heures de médecine pour rattraper le temps perdu. Pour soutenir l’équipe et pour insuffler de la bonne humeur et de l’entrain dans le quotidien, j’étais toujours disponible au téléphone pendant les rares moments où je n’étais pas présente au travail. Je me suis efforcée d’être là aussi pour les associées; après tout, c’est moi-même qui me suis positionnée dans ce rôle de présidente de notre regroupement. J’ai également continué de jouer mon rôle de mentor pour de jeunes vétérinaires. J’ai analysé les possibles subventions avec l’associée responsable, fait des calculs, pris plusieurs mesures pour conformer mes établissements, j’ai rassuré, rassuré, rassuré. Oui, j’ai fait tout ça et bien plus, pendant plusieurs mois de la pandémie, jusqu’à être tellement fatiguée que je me demandais si j’allais être capable de me lever le matin… jusqu’à me lever en pleurant de fatigue.

J’ai abusé de mes forces et je sais que cela équivaut à rendre toutes mes équipes vulnérables. Et je m’en suis voulu. 

Si je ne suis pas apte à gérer moi-même mes énergies, qui suis-je pour imaginer diriger des équipes et un regroupement de cinq cliniques?

Des exemples comme ceux-là, j’en ai cumulé des dizaines dans la dernière année. Oui, j’ai eu peur de manquer de courage et j’ai souvent eu envie de me dire que j’avais essayé, que c’était trop difficile, trop anxiogène. À plusieurs reprises, je me suis dit que l’entrepreneuriat exige tant de sacrifices qu’il ne reste ni temps, ni énergie, ni même envie pour rien d’autres. À quoi bon donc? Je me suis dit aussi que je comprenais le désir de vendre leur pratique que plusieurs ont manifesté durant cette dernière année.

On se donne une chance ?

Puis, j’ai réfléchi et je me suis dit que je ne manque pas de courage, mais de bienveillance avec moi-même. Si je pardonne aux autres, si je comprends qu’ils font leur possible, je dois aussi m’accorder un peu de répit et une marge d’erreur.

La pandémie n’est malheureusement pas terminée. Même en déployant mes meilleurs efforts, je sais maintenant que je n’arriverai pas à trouver en moi, tous les jours, toutes les heures, avec dans chaque situation, la Lucie-parfaite. Je sais également que le courage peut fluctuer et que l’hyperperformance peut s’étendre sur quelques semaines, mais pas sur plusieurs mois. Je me souhaite et à chacun des leaders que vous êtes, de vous voir avec les mêmes yeux que vous réservez à vos associés ou à vos meilleurs employés. C’est aussi ça, avoir du courage en affaires : acceptez ses imperfections en misant sur ses forces. Comme disait Cover Girl: vous le méritez bien ! Soyez fiers de vous. Être des leaders en pandémie, c’est déjà un exploit. Je vous admire. Non! Je nous admire!

Paru dans Le Rapporteur Printemps 2021 de l’Association des médecins vétérinaires du Québec